Ma première culotte courte, à 20 ans
J’étais arrivé à Paris pour la rentrée d’octobre 1962, inscrit à la Fac de Droit en troisième année. J’avais 20 ans, élevé en province par des parents employés qui ne roulaient pas sur l’or, mais mes frères et sœurs et moi n’avons jamais manqué de rien. J’avais trouvé à louer une chambre au 6ème étage près de la gare Montparnasse. J’étais alors assez sportif, plutôt bon camarade, un peu dérouté par la vie étudiante à Paris, mais j’avais vite trouvé mes marques. A la Fac, je m’inscrivis dans l’équipe de rugby, qui jouait sur un terrain du Bois de Boulogne, dans une ambiance à la fois amicale et détendue. Rapidement, je m’y fis quelques amis, c’est l’avantage du sport, on s’y lie facilement. L’un d’eux s’appelait Alain, non seulement nous jouions ensemble au rugby, mais nous étions dans le même groupe de TD en Fac. Alain était un grand gars aux cheveux très courts, pas très souriant, mais inspirant confiance. Il s’habillait sans recherche avec des vêtements usés qui avaient dû servir à ses frères, des chaussures genre écrase merde aux semelles épaisses. Il portait toujours sur lui un ceinturon scout magnifique, en vieux cuir luisant avec une boucle de bronze. J’étais plus soigné, je m’habillais sans suivre la mode de près, je n’en avais ni les moyens ni les gouts, mais quand même pas trop en décalage. Alain lui était en rupture complète, mais curieusement, j’appréciais son côté indépendant, sa manière de ne pas tenir compte du regard des autres. Assez vite, nous devînmes assez liés, et, en plus de nos entrainements de rugby, nous priment l’habitude de travailler notre Droit en duo. Nous nous installions dans ma chambre d’étudiant, une petite pièce meublée d’un lit, d’une porte montée sur deux tréteaux, de deux chaises bancales, d’une étagère avec des livres, d’un placard pour mes vêtements. Dans un renfoncement, un réchaud à gaz, mais pas d’eau, il fallait aller dans le couloir ou un robinet coulait dans une sorte de lavabo en zinc. C’était le minimum vital, mais sympathique, avec par la fenêtre une vue sur la gare Montparnasse, c’était avant qu’elle soit démolie. Au moins, rien ne nous distrayait du travail, et nous bûchions dur. Ma famille se privait pour payer mes études, et je ne voulais pas la décevoir. Un jour, je luis demandais le pourquoi de son ceinturon. Il me répondit avec un grand sourire, rare chez lui, qu’il était chef d’une troupe scoute. Je n’avais jamais été scout. Ceux qui pendant ma scolarité étaient scouts ne m’attiraient pas, formant des petits groupes dans la cour, ayant toujours l’air de comploteurs, fermés sur eux-mêmes. Pourtant, j’aimais la vie au grand air, il m’arrivait de camper l’été avec des cousins, nous partions plusieurs jours en vélo découvrir les côtes sauvages, faisant la cuisine sur des feux de branchages. Alain m’expliquait ce qu’il faisait avec les scouts, et je découvrais avec lui un monde fait de règles, d’habitudes, de discipline librement consentie. Le fait que ce gars pour lequel j’avais du respect se dépense ainsi autant pour les autres, me faisait radicalement changer mon opinion sur les scouts que je trouvais jusqu’alors fermés et quelque peu hostiles. Un jour, Alain arriva dans ma chambre avec un paquet plat sous le bras.
« Tiens, c’est pour toi. Tes murs sont un peu vides, si ça te plait, tu n’auras qu’à l’accrocher »
J’ouvrais l’emballage. C’était une litho représentant des scouts dans une forêt. Deux garçons franchissaient un obstacle en tenant des branches d’arbre. Le dessin était superbe, l’ambiance mystérieuse, presque envoutante. J’étais très touché par ce cadeau, mais la timidité ne me fit pas trouver les mots justes pour remercier Alain. Je bredouillais de vagues remerciements, alors que ce cadeau me faisait vraiment plaisir. Alain parti, j’accroche la litho au-dessus de mon étagère à livres. Les scouts sont superbes, avec leurs chemises à grandes poches, leur foulards bicolores, leurs shorts qui leur donne un air juvénile, conquérant. Il n’y a pas à dire, ça a de la gueule. Nous étions en décembre. C’est alors qu’eu lieu un changement de programme sans importance en apparence, qui allait m’entrainer dans une aventure à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Alain et moi devions nous retrouver le samedi après-midi pour travailler ensemble chez moi. Le vendredi, Alain me dit qu’il avait un empêchement, il devait s’occuper de ses scouts ce weekend, et me demande si ça ne me dérangerait pas de reporter au dimanche à 17 heures, quand il serait rentré de sa sortie. Il me propose de venir chez lui et de rester à diner J’acceptai volontiers, d’autant plus que je n’étais jamais allé chez lui, et cela m’intriguait de voir dans quel monde il vivait.
Le dimanche, j’arrive devant un bel immeuble bourgeois du boulevard Raspail. Je sonne à l’appartement, une dame vient m’ouvrir :
« Bonjour Philippe, je suis la maman d’Alain, il m’avait prévenue de votre rendez-vous. Alain n’est pas encore rentré mais ne va pas tarder. Venez, je vais vous conduire à sa chambre où vous pourrez l’attendre. »
L’entrée est immense, comme une galerie, avec des grands miroirs et des tableaux aux cadres dorés. Par des doubles portes ouvertes, on aperçoit des fauteuils de style, un piano à queue, d’autres tableaux. Au bout d’un long et étroit couloir, la mère d’Alain me fait entrer dans une chambre qui fait quatre fois la mienne.
« Je vous laisse, Philippe. Si vous avez faim ou soif, la cuisine est à gauche, n’hésitez pas à vous servir dans le frigidaire. Nous nous retrouverons pour le diner avec nos enfants et mon mari. »
Je pose mon anorak, et je découvre la chambre d’Alain. Elle est à la fois simple et belle, avec une grande fenêtre qui ouvre sur le boulevard, des meubles anciens qui ont surement de la valeur, une atmosphère de solidité et de prospérité, mais sans ostentation. Aux murs, des gravures anciennes de soldats, deux sabres croisés, des encadrements de dessins représentant des scouts, dont le même que celui qu’il m’a offert, des fanions. Par terre, des chaussures de sport, un ballon de rugby, une corde enroulée, quelques outils. Une photo d’Alain un peu plus jeune, en short, torse nu, en train de scier des buches devant un manoir de granit, une autre avec ses frères, tous cravatés et ses sœurs en jolies robes d’été, entourant un vieil homme, leur grand-père probablement. Alain n’arrivant pas, je continue ma discrète exploration. Par l’armoire entrouverte, je vois des vêtements, ceux qu’Alain porte tous les jours, des chemises usées, des pulls tricotés à la main. Occupant une étagère, des vieux shorts et une culotte courte de scout. Pourquoi je me sens attiré par cette culotte, plus que par les shorts ? Au collège, nous étions presque tous en culotte courte jusqu’à la 4ème. Après, il restait encore quelques garçons en culotte courte, mais cela devenait de plus en plus rare au fur et à mesure qu’on montait de classe. En seconde, il y en avait encore deux, et plus personne en première. Je me mettais encore en short pendant les vacances, et j’avoue que j’y prenais un certain plaisir, car cela me donnait une impression de liberté et d’aventure. Pour le sport pendant l’année, j’avais deux shorts bleus avec des bandes blanches de la marque « Le Coq Sportif », très courts et confortables pour courir ou jouer au rugby. Cette culotte de velours beige me fascinait. Après pas mal d’hésitations, je tendis ma main et la touchai. Le velours me procurait une sensation de plaisir interdit, avec quelque chose de sensuel. Pour tout dire, je rêvais de la mettre. C’était trop risqué, Alain ou sa mère pouvait à tout moment ouvrir la porte, et comment expliquer cette folie ? Une porte qui claque, quelques paroles lointaines, puis des pas lourds dans le couloir, la porte de la chambre s’ouvre : Alain entre, en uniforme scout, sac au dos, le visage rayonnant, très à l’aise :
« Désolé vieux, j’ai été retardé. Je reste habillé comme je suis si ça ne te dérange pas, on perdra moins de temps, je vais juste me laver les mains »
Alain ouvre une porte, qui donne accès à une salle d’eau. Le lavabo est dans l’enfilade, je le vois donc, debout, de dos. Il porte la même culotte courte que celle de l’armoire, mais plus récente semble-t-il. Elle lui donne un air adolescent, qu’ajoute encore sa chemise beige avec des insignes colorés, son foulard rouge et noir, ses grosses chaussures de marche, ses jambes boueuses, avec des griffures rougies, des estafilades. Je le trouve impressionnant dans cette tenue, plus que dans ses vêtements de tous les jours. Je me dis à moi-même que j’ai été un imbécile de ne jamais voulu être scout quand j’en avais l’âge, j’aurais dû passer outre mes préjugés, et qu’Alain a bien de la chance de partir camper ainsi les weekend, ça a l’air de le rendre heureux et épanoui.
« Bon, il est 18 heures, on s’installe et on travaille deux heures. Ensuite on dine avec les parents. Mets cette chaise ici, installe toi à côté de moi. »
Le bureau d’Alain a deux blocs de tiroirs de chaque côté. Il est grand, mais à cause des blocs, nous sommes obligés de rapprocher nos chaises. J’ai du mal à me concentrer. Je sens l’odeur d’Alain, faite de sueur, de feu de bois, de feuille séchée. La même odeur dans le métro, je me boucherais le nez. Mais là, je ne sais pas comment dire, cette odeur m’enivre et met tous mes sens en éveil. Je braque mes yeux sur sa culotte de velours et ses cuisses lacérées d’égratignures. Il ne peut pas s’en apercevoir, c’est l’avantage d’être à côté de lui, sans recul. Nos bras se rencontrent souvent, les flots qui sont à sa manche me caressent mon polo. Je suis à la fois gêné et ravi. Par contre, coté travail, ça ne marche pas fort, je n’arrive pas à me fixer sur le Dalloz, à rester dans le sujet.
« Tu n’as pas l’air concentré ce soir Philippe ! Et puis moi non plus. Je suis crevé. On arrête et je t’amène l’apéro. On sera plus tranquille ici qu’avec les parents. Qu’est-ce que tu veux ? Porto ou whisky ?
- Whisky s’il te plait.
- OK mon Prince, j’arrive. »
Je me retrouve à nouveau seul dans la chambre. La porte de l’armoire est restée ouverte. Je passe à nouveau mes mains sur la culotte de velours. Avoir vu la même portée par Alain renforce encore mon attirance. Mon cœur bat plus vite, je tremble, le souffle plus court. Calmons-nous, ce n’est qu’une culotte de scout. Mais justement, c’est un culotte de scout, et c’est un monde qui pour moi est inconnu, avec ses règles, ses odeurs, son vocabulaire mystérieux. Alain arrive, un plateau dans les mains.
« Raconte-moi ce que tu as fait avec tes scouts, lui dis-je.
- Ah Ah, je savais que ça t’intéresserait. J’ai fait exprès de changer notre rendez-vous, pour que tu me voies en uniforme. J’avais l’intuition que tu aimerais parler de scoutisme, je ne me suis pas trompé.
- Oui, tu as raison, depuis que tu m’a donné le dessin scout, ça a trotté dans ma tête. »
Alain me raconte le rendez-vous à la gare, le voyage en train jusqu’à Rambouillet, la marche de dix kilomètres, le campement près d’une ferme, le grand jeu avec les messages codés. Je regarde ce grand gars en culotte courte, pas gêné du tout devant moi, les yeux brillants, l’air chaleureux, qui me raconte son weekend comme une épopée guerrière. Il me parle de Michel et Patrick, ses assistants, des types avec lesquels nous nous étions entrainés au rugby la semaine précédente et nous avions bien accroché.
« D’ailleurs, nous comptons sur toi dimanche pour la prochaine sortie.»
J’émerge du récit avec un peu de décalage. J’en étais au grand jeu, à la fuite du chevalier qui a trahi son roi, poursuivi par les loyaux soldats.
« Pardon, je n’ai pas compris ?
- Je te dis que la prochaine fois, tu viens avec nous, me répond Alain.
- Mais pourquoi ? je n’ai jamais été scout !
- Et alors vieux ? On a besoin de toi, nous ne sommes pas assez nombreux pour encadrer la troupe. J’en ai parlé à Michel et Patrick que tu as vu cette semaine. Ils t’ont trouvé chic type. On t’apprendra tout, tu verras, comme tu n’es pas vraiment bouché, ça viendra vite !
- Mais comment je ferai ?
- Pfft, tu y arriveras, pris dans le jeu, mes gars sont motivés, tu vas te plaire avec eux. L’uniforme, la culotte courte, ça ne te pose pas de problème ?
- Euh… non, je trouve même que c’est assez chouette.
- Tu l’as dit que c’est chouette, tu verras, une fois qu’on l’a mis une fois, on ne s’en lasse plus.
- Mais je n’ai rien à mettre pour dimanche ! »
Alain se lève, va vers l’armoire ouverte. Il prend la culotte que j’ai touchée, une chemise d’uniforme et me les tend.
« Tiens, essaye, ça devrait t’aller, tu es un peu plus petit que moi, c’est mon uniforme d’il y a trois ans. »
Voilà qu’en quelques secondes, je me retrouve avec en mains l’objet de mes désirs ! J’enlève mon polo, je mets la chemise, elle va parfaitement. Je retire mon pantalon, je prends la culotte en tremblant un peu. Je regarde Alain, j’ai peur qu’il s’aperçoive de mon trouble, mais non, ou alors il fait semblant de ne pas le voir. Je mets la culotte, elle est un peu large, mais elle tient bien à la taille. Je me sens un autre homme, plus jeune, plus libre. Alain ouvre un tiroir, en sort un ceinturon qu’il me tend :
« Tiens, c’est mon cadeau d’arrivée, j’en ai deux. »
Il s’approche, glisse le ceinturon dans les passants, me montre comment le régler à ma taille. Il prend un foulard roulé dans l’armoire, me le passe autour du cou, ajuste la bague de cuir tressé. Je donnerai cher me voir dans une glace, mais il n’y en a pas dans la pièce, et de toutes façons, jamais je n’oserai me regarder devant Alain.
« Parfait, l’uniforme te va impeccable. Reste habillé comme ça pour le diner, ce sera plus sympa, les parents sont habitués à avoir des scouts à la maison. »
Je n’en reviens toujours pas. Il y a cinq minutes, j’étais un étudiant de province égaré à Paris, je me retrouve en scout parisien, et même chef scout, alors que je n’ai jamais été scout ! Le diner est impressionnant, dans une vaste salle à manger où sont réunis les parents d’Alain, une de ses sœurs de 18 ans, et son frère plus âgé, en fin d’études de médecine. C’est une famille qui vit dans l’harmonie, la conversation est détendue, parfois les échanges sont violents entre Alain et sa sœur, comme dans toutes les familles. Pour mon premier diner dans le monde parisien, je m’en sors pas mal. Mes parents, bien que beaucoup plus modestes, m’ont appris les règles de vie en société, mais en me disant qu’il faut toujours être soi-même, ne jamais vouloir tricher. Après le diner, nous repassons dans la chambre d’Alain. Je m’apprête à me changer pour reprendre mes vêtements d’étudiant.
« Rentre donc chez toi en uniforme pour t’y habituer, mets tes affaires dans ta serviette. »
J’ai un moment d’hésitation. En culotte courte dans un appartement dans une famille qui y est habituée, cela ne pose pas de problème. Mais dehors ? Comment vais-je affronter les regards des autres ? Que va penser la concierge de mon immeuble quand elle me verra passer ? Je regarde Alain :
« D’accord, tu as raison, toi tu sors bien en uniforme, pourquoi pas moi ?
- Bravo vieux, ne t’occupe pas des autres, va ton chemin, et n’oublie pas que désormais, nous sommes solidaires. »
Je me retrouve sur le Boulevard Raspail, en uniforme scout. J’ai 20 ans, je suis étudiant, je n’ai largement plus l’âge de me promener en ville en culotte courte et pourtant, j’y suis ! Je suis pris en entre deux attitudes : la timidité et le plaisir. Que vont penser les gens ? Je remonte la rue de Rennes, je croise un couple d’amoureux, le premier test. Ni l’homme ni la femme ne font attention à moi. Pourtant, on est en plein mois de décembre, il fait froid, pas un temps à se promener en culotte courte. La porte d’un immeuble est ouverte, il y a un énorme miroir dans le hall. J’entre et je me regarde, et ce que me renvoie le miroir me réjouit. C’est vrai que cet uniforme me va parfaitement. Quelle fierté ! Je me trouve même beau garçon habillé ainsi. Ce qui j’aime surtout, c’est que la culotte est bien courte, c’est beaucoup plus joli ainsi. Je sors de l’immeuble, le froid me fouette les jambes et les cuisses, mais je m’en moque bien, c'est même agréable. Un groupe d’étudiants sort d’un café, en faisant une foire pas possible. Là, c’est l’heure de vérité. Mais il ne se passe rien, l’un des étudiants me regarde, baisse les yeux sur mes jambes nues, et c’est tout. Plus je remonte vers la Place du Montparnasse, plus il y a de promeneurs. Un petit garçon dit à sa maman :
« Regarde Maman, un scout ! »
La maman me regarde, me fait un sourire. C’est donc si facile que ça de sortir en culotte courte en plein Paris ! Rentré dans ma chambre, j’ai du mal à m’endormir. Cette culotte que je rêvais de mettre, voilà qu’elle est à moi et que non seulement je peux la mettre, mais je dois la mettre régulièrement ! En une soirée, je suis entré dans un monde mystérieux et fascinant.